Nouvelle recherche sur la réforme juridique en matière de prévention de l’itinérance

Une équipe de recherche de l’École de politiques publiques Max-Bell de l’Université ºÚÁϲ»´òìÈ Ã©tudie les cadres juridiques liés à la prévention de l’itinérance et au droit au logement convenable en Finlande, en France, en Allemagne et au RoyaumeUni.

Le Canada ne connaît pas « une » crise du logement, mais bien plusieurs crises simultanées. Les personnes vulnérables, notamment celles qui souffrent de maladie mentale, de toxicomanie, de violence domestique, d’un handicap ou d’une situation précaire en matière d’immigration, sont particulièrement exposées au risque d’itinérance. Ces crises sont le résultat d’échecs politiques à long terme et de facteurs systémiques tels que l’augmentation des loyers, l’inaccessibilité des logements ou la précarité du droit d’occupation - des dynamiques aggravées par la hausse des évictions et des reprises de logement.

L’itinérance est devenue un problème urgent et croissant au Canada ainsi que dans la plupart des pays industrialisés. Entre 2020 et 2022, plus de 40 000 personnes se trouvaient en situation d’itinérance au cours d’une nuit donnée dans 61 collectivités canadiennes, ce qui représente une augmentation de 25 % par rapport à 2018.1 Au Québec, le nombre de personnes en situation d’itinérance en 2022 était supérieur de 44 % à celui de 2018, et le recensement de 2024 indique des taux d’augmentation élevés et en hausse rapide.2Ìý

L’École de politiques publiques Max-Bell travaille en collaboration avec le Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance afin de trouver des moyens créatifs de prévenir l’itinérance et de placer la prévention au premier plan du débat public. Le projet de recherche explore la manière dont d’autres pays garantissent le droit au logement, notamment en imposant une obligation d’assistance envers les personnes à risque, des personnes à risque, des ’exigences législatives aux municipalités en matière de construction de logements sociaux, ainsi que des mesures visant à prévenir les évictions pouvant mener à l’itinérance.

Cette recherche soutient le Projet cadre juridique du Collectif, codirigé par Pearl Eliadis, professeure agrégée (professionnelle) à la l’École MaxBell, lequel s’intéresse au potentiel d’une réforme juridique comme levier au sein d’un ensemble de solutions politiques.

L'article est également disponible en anglais, ici.

Pourquoi prioriserse concentrer sur la prévention?ÌýÌý

Alors que les services d'urgence et les réponses palliatives sont obligés de répondre à la demande accrue, les efforts structurels et systémiques pour prévenir l'itinérance restent fragmentés et sous-développés. Les solutions mises en place jusqu’ici - comme le recours aux refuges et autres services de première ligne pour répondre à la situation d’itinérance - se révèlent insuffisantes. Sans une approche structurée, appuyée par des ressources adéquates en de prévention, les efforts structurels et systémiques visant à prévenir l’itinérance restent fragmentés et insuffisants, y compris au Québec. Des programmes tels que « Logement d’abord » aident des personnes à réintégrer un logement permanent, mais leur déploiement reste insuffisant à l’échelle du Canada.

Selon Eric Latimer, économiste, membre de l’équipe du Collectif et chercheur de premier plan sur l’itinérance au Canada, « des programmes de prévention bien conçus peuvent être moins coûteux et plus humains qu’une approche qui repose uniquement sur le relogement des personnes ayant perdu leur logis ». La prévention évite le traumatisme causé par la perte d’un logement, ce qu’une approche fondée sur la réduction de l’itinérance lorsque les personnes sont déjà sans domicile ne peut pas réaliser.ÌýÌý

La prévention aide les gouvernements à respecter leur obligation juridique de garantir progressivement le droit à un logement convenable (le « droit au logement »). L’itinérance est également la violation la plus grave du droit au logement, comme le reconnaît le droit international en matière de droits de la personne en vertu des traités des Nations Unies et régionaux, ainsi que la loi fédérale canadienne aux termes de laLe droit au logement n’est pas le seul droit humain en jeu : les droits à l’égalité et à la sécurité de la personne sont également protégés par et du Québec.

L’École Max-Bell et le Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance3Ìý

Alors que l’itinérance reste un enjeu social majeur souvent traité par des réponses d’urgence, le Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance (CQPI) propose un véritable changement de cap en plaçant la prévention au centre de l’action publique.Ìý

Créé en 2021, le CQPI rassemble des expert·es issus des milieux universitaire, communautaire et institutionnel autour de trois missions principales : formuler des recommandations en matière de politiques publiques et de réformes législatives ; favoriser le partage des connaissances et la mobilisation des acteur·trices concerné·es ; et accompagner le gouvernement du Québec dans la mise en Å“uvre de solutions concrètes.Ìý

L’École de politiques publiques Max-Bell est un partenaire universitaire du Collectif. Elle soutient des événements de sensibilisation et propose la première étude de cas universitaire au Québec sur la prévention de l’itinérance, qui explore comment les collaborations intersectorielles et la société civile peuvent servir de catalyseurs de changement politique.ÌýÌý

Grâce en partie à une subvention de développement de partenariats du Conseil de recherches en sciences humaines4, des recherches sont en cours afin d’examiner les idées prometteuses, les leçons apprises et les pratiques exemplaires en matière de politiques visant à prévenir l’itinérance au Québec, tout en tenant compte des multiples dimensions de la crise du logement qui touche les sous-populations vulnérables.ÌýÌý

L’une de ces dimensions est la réforme juridique et les droits de la personne en tant que moteurs des politiques publiques. Dans le cadre du projet de l’École Max-Bell, en collaboration avec le Collectif, quatre courts articles de recherche sont en cours d’élaboration. Les réformes juridiques et la relation entre la solidité relative des cadres juridiques qui soutiennent le droit à un logement convenable (« droit au logement ») en Finlande, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni5 y sont analysées. Ce projet de recherche vise à présenter un cadre permettant d’évaluer comment les systèmes juridiques, en particulier ceux qui offrent des solutions fondées sur les droits qui protègent le droit au logement, peuvent contribuer à améliorer les résultats en matière de logement et à réduire l’itinérance.ÌýÌý

Une cohorte diplômée de l’École Max-Bell a étudié ces évolutions juridiques parallèlement aux tendances en matière de logement et aux taux de migration dans chaque pays afin de mieux comprendre les obligations de l’État d’assurer la réalisation progressive du droit au logement.ÌýÌý

Cadres juridiques et résultats en matière de logement : observations préliminairesÌý

À partir de données provenant principalement de l’Organisation de coopération et de développement économiques et de la Banque mondiale, le projet de l’École Max-Bell examine les résultats en matière de logement par rapport aux indicateurs suivants :ÌýÌý

  • parc immobilier (unités pour 1 000 habitants);ÌýÌý

  • parc de logements sociaux (en pourcentage du parc immobilier total);ÌýÌý

  • taux de surcharge des coûts du logement parmi le 25 % des personnes les moins bien nanties;ÌýÌý

  • taux d’itinérance.ÌýÌý

Tout en reconnaissant qu’il existe des différences méthodologiques entre les pays et les institutions pour ces indicateurs, les organisations internationales ont élaboré des définitions standard qui permettent un certain degré de comparabilité.ÌýÌý

Le projet suit les principales évolutions juridiques, en mettant l’accent sur les approches fondées sur les droits qui imposent à l’État l’obligation légale de soutenir les personnes les plus vulnérables et qui créent des recours juridiques pour les individus si l’État n’a pas fourni les aides prévues par la loi pour faciliter l’accès au logement.ÌýÌý

Les informations concernant la solidité relative des systèmes législatifs dans chaque juridiction portent sur les mesures préventives de l’itinérance, telles que l’obligation imposée aux gouvernements de construire des logements sociaux et abordables, la mise en place d’obligations d’aide ou de soutien envers les personnes en situation d’itinérance ou à risque, ainsi que le renforcement des protections contre les évictions, notamment par:

  • les obligations juridiques internationales qui incluent le droit à un logement convenable;ÌýÌý

  • les droits constitutionnels et quasi constitutionnels qui imposent à toute législation ordinaire des normes de base pour le respect de ces droits;Ìý

  • le droit à l’égalité et à la non-discrimination;Ìý

  • les protections juridiques pour la sécurité d’occupation, y compris celles liées à la prévention des évictions pouvant conduire à l’itinérance;Ìý

  • une législation qui fixe des objectifs minimaux relativement au nombre de logements sociaux;ÌýÌý

  • une législation qui prévoit l’obligation légale de fournir une assistance et des services d’orientation aux personnes en situation d’itinérance ou susceptibles de le devenir;ÌýÌý

  • des politiques gouvernementales explicitement fondées sur le droit à un logement convenable.Ìý

Le Canada, y compris le Québec, est en retard par rapport à plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques ayant des niveaux de développement économique et social comparables en ce qui concerne plusieurs de ces mesures de prévention de l’itinérance. La recherche met en évidence l’éventail des différentes stratégies juridiques pouvant être combinées pour résoudre les multiples facettes de la crise du logement et le rôle que la réforme législative peut jouer dans la lutte contre l’itinérance. Les observations préliminaires sur les quatre pays sont présentées dans les sections suivantes.Ìý

FinlandeÌýÌý

Parmi les pays étudiés, la Finlande dispose des protections constitutionnelles les plus solides en matière de droit au logement, avec un taux d’itinérance étonnamment bas (même si les données de 2024 montrent une augmentation), soit environ 0,06 % de la population. La protection constitutionnelle explicite du droit au logement en Finlande s’accompagne d’une série de protections législatives et d’une forte volonté politique de mettre fin à l’itinérance. Les aides sociales, les généreuses allocations de logement, un système bien articulé de conseillers et conseillères en logement qui contribuent à prévenir les évictions, ainsi qu’un programme ambitieux intitulé « Housing First » (Le logement d’abord), fondé sur le droit au logement, ont contribué aux résultats positifs obtenus par la Finlande.Ìý

FranceÌý

En France, le droit au logement est considéré comme une valeur constitutionnelle, et la législation prévoit à la fois la construction de logements sociaux et la mise en place de recours individuels dans certains cas. La loi SRU, soit la Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, et la loi ALUR, soit la Loi n° 2014366 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, fixent des pourcentages minimaux de logements sociaux pour les communes françaises, respectivement à 20 % et à 25 % pour certaines zones.ÌýÌý

S’il est vrai que les municipalités peuvent payer une amende plutôt que de se conformer aux exigences, et qu’il existe des questions légitimes quant aux personnes ayant accès à ces logements, le pourcentage de logements sociaux de 14 % en France par rapport à l’offre globale de logements est néanmoins favorable par rapport à celui du Canada, qui est de 3,4 %.6Ìý La France dispose également du droit au logement opposable (Dalo), qui garantit un droit exécutoire au logement pour tous, bien que cette législation ait été critiquée pour ne pas offrir de recours suffisamment solides.7ÌýÌý

AllemagneÌý

L’Allemagne fait également face à un problème d’itinérance et à une crise du logement, ainsi qu’à d’importantes pressions démographiques liées à l’immigration. À l’instar du Canada, la structure fédérale de l’Allemagne confère la plupart des compétences en matière de logement aux gouvernements infranationaux. À l’échelle nationale, il est toutefois nécessaire de répondre à la demande de logements abordables et de promouvoir les droits des locataires (l’Allemagne, comme le Québec, compte un pourcentage très élevé de locataires).ÌýÌýÌý

Dans ce contexte, la Loi sur la mobilisation des terrains à bâtir, adoptée en 2021, a introduit des changements radicaux dans la réglementation du logement en Allemagne, simplifiant le processus d’octroi des permis et facilitant la préparation des plans d’aménagement. Plus important encore, elle a introduit une quasi-interdiction de la conversion d’appartements locatifs en copropriétés, en particulier dans les zones où le marché immobilier est tendu, et a accordé certains droits de préemption aux municipalités (la Loi ne s’applique pas directement au land de Berlin, qui connaît une situation extrêmement tendue sur le marché immobilier et dispose de sa propre réglementation stricte en matière de logement). Ìý

Royaume-UniÌý

Le Royaume-Uni, confronté à une forte augmentation du nombre de personnes en situation d’itinérance, a introduit une « obligation d’assistance » envers ces personnes ainsi que celles considérées comme à risque. Le pays de Galles, en particulier, s’est doté d’une législation imposant cette obligation aux autorités locales, fondée sur les principes de prévention précoce et de relogement rapide (« ne laisser personne de côté »), dans le cadre de la Housing (Wales) Act de 2014. En vertu de cette loi, les autorités locales sont légalement tenues de fournir des services de prévention et d’aide aux personnes en situation d’itinérance qui remplissent les conditions requises. Les personnes qui ne sont pas d’accord avec les décisions des autorités locales ont le droit de demander un examen administratif interne.Ìý

Prochaines étapesÌý

Les étudiants et étudiantes à la maîtrise en politiques publiques de la promotion 20242025, Kiran Gill (Allemagne), Camille Haisell (Finlande) et Angelina Freeman (France et Royaume-Uni) ont élaboré des séries chronologiques interrompues pour chaque pays, qui donnent un aperçu des relations entre les mesures juridiques qui soutiennent le droit au logement et les résultats en matière de logement, tout en suivant les données immigration de chaque pays au fil du temps. Ces séries chronologiques permettront de visualiser l’évolution, au fil du temps, des relations entre certaines interventions juridiques et les résultats en matière de logement cités ci-dessus.Ìý

Les recherches menées à l’École Max-Bell sont supervisées par Pearl Eliadis et soutenues par Leslie Fierro, professeure Sydney-Duder en évaluation de programmes, et Tim Lane, professeur invité JW-McConnell 2024-2025 et ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada. La professeure Fierro a joué un rôle déterminant dans le choix de la méthodologie (séries chronologiques interrompues) pour suivre la relation entre les interventions juridiques et certains résultats en matière de logement. Le professeur Lane a apporté son expertise sur les principales considérations économiques propres à chaque pays qui peuvent influencer les indicateurs socioéconomiques des pays sélectionnés.Ìý

L’équipe vise à publier les résultats préliminaires en 2025. Pour plus d’informations sur le Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance et ses travaux, veuillez consulter le site .ÌýÌý

1ÌýGouvernement du Canada.ÌýTout le monde compte 2020-2022 : Rapport préliminaire sur les faits saillants. InfrastructuresÌýCanada.Ìý

2ÌýMinistère de la Santé et des Services sociaux. Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec. Rapport de l’exercice du 11 octobre 2022. Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, 2023;Ìýministère de la Santé et des Services sociaux. Itinérance hébergée au Québec. Rapport de l’exercice d’énumération du 23 avril 2024. Québec : 2024.Ìý

3ÌýNous remercions Art Campbell, directeur duÌýCollectif, etÌýEric Latimer,Ìýmembre du comité directeur duÌýCollectif, pour leurs commentaires sur les versions précédentes.ÌýÌý

4ÌýLatimer,ÌýE., Hughes, J., Arbaud,ÌýC., Campbell,ÌýA., Crocker,ÌýA., Eliadis,ÌýP., Gervais,ÌýI., Hanley,J., Kamateros,ÌýM., Nandi,ÌýA., Paré,ÌýM., Roy,ÌýL., Soto,ÌýJ.,ÌýStich,ÌýC.,ÌýWachsmuth,ÌýD., « The QuébecÌýHomelessnessÌýPrevention Policy Collaborative: Phase II of aÌýSuccessfulÌýPartnership »,ÌýConseil de recherches en sciences humaines du Canada,ÌýSubvention de développement de partenariats. 22 mars 2024-21 mars 2027, 198 996 $.Ìý

5ÌýEn 2024, un premier examen des cadres juridiques relatifs au logement en Finlande, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni a étéÌýeffectuéÌýpar des étudiantsÌýet étudiantesÌýde la Faculté de droit de l’Université ºÚÁϲ»´òìÈ :ÌýCarlaÌýArlabaez, Thomas Bisset, Toby Moore et Chloë Shaninian.Ìý

6Ìýde l’Organisation de coopération et de développement économiques.ÌýHousing Cost Overburden Rate. Housing conditions and affordability, 2022 or later.ÌýL’amende infligée aux municipalités est versée au fonds national pour le logement social locatif.Ìý

7ÌýHaut-Commissariat aux droits de l’homme, « Déclaration de fin de mission de la Rapporteuse spéciale sur le droit à un logement convenable présente ses observations préliminaires au terme de sa visite en République française du 2 au 11 avril 2019 » (12 avril 2019), en ligne :Ìý.Ìý

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