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Entrevue avec Leire Cancio Orueta, titulaire de la Chaire Elbira-Zipitria en études basques 2025

±Ê³Ü²ú±ô¾±Ã©: 13 September 2025

Portait de Leire Cancio Orueta

Pour commencer, comment vous décririez-vous comme chercheuse? Quels thèmes et valeurs guident votre travail et vos recherches?

Je me considère davantage comme une praticienne que comme une chercheuse. Je consacre la majeure partie de mon temps à concevoir et mettre en œuvre des processus qui visent à contribuer à des changements systémiques plus larges. C’est un travail continu, et je suis pleinement consciente de la perspective à long terme qu’impliquent les processus sociaux. Mon travail consiste à provoquer de petits changements — de nouvelles perspectives, de nouvelles façons de voir — qui peuvent mener à de nouvelles façons d’agir. Le défi principal est de structurer ces efforts de manière à ce qu’ils contribuent à une transformation systémique.

Je me définis aussi comme une personne à l’écoute. Je m’intéresse particulièrement à l’identification d’opportunités de changement à travers des processus d’écoute. L’analyse est également au cœur de mon travail, comme outil pour mieux comprendre les réalités dans lesquelles nous intervenons.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel et académique? Quelles expériences ont façonné votre approche de l’innovation sociale et de l’engagement communautaire?

La majeure partie de ma carrière a été consacrée à soutenir la normalisation de la langue basque — en concevant des projets et des initiatives pour créer de nouveaux espaces et usages où la langue peut s’épanouir. Des années plus tard, j’ai compris que ce travail pouvait être considéré comme de l’«innovation sociale». J’ai réalisé que beaucoup d’actions menées par le tiers secteur et les mouvements sociaux consistaient à co-créer des solutions pour améliorer la vie collective.

Depuis, mon parcours professionnel s’est élargi pour aborder une variété de questions sociales — transitions environnementales, économiques et sociales — incluant les communautés énergétiques, le développement rural, l’inclusion des jeunes et l’engagement communautaire.

Mon expérience pratique m’a ensuite permis de tisser des liens avec le monde académique, notamment à l’Université Mondragon, dans le cadre du programme en humanités numériques mondiales. La refonte du programme, la définition des profils professionnels et l’élaboration de la carte des compétences ont été une aventure passionnante.

Durant votre séjour à ºÚÁϲ»´òìÈ au CRIEM en tant que titulaire de la Chaire Elbira-Zipitria 2025, quels liens voyez-vous entre vos recherches et celles du CRIEM? Y a-t-il des collaborations futures qui vous enthousiasment particulièrement?

Le CRIEM est l’un des centres de référence dans le domaine de la recherche partenariale en contexte urbain. Je m’intéresse particulièrement à son approche des initiatives communautaires et aux projets de recherche et d’engagement qu’il soutient.

En tant que professionnelle investie dans les processus d’écoute, j’ai hâte d’en apprendre davantage sur les projets de co-création menés dans différents quartiers de Montréal. J’espère pouvoir dialoguer autour des besoins et des défis à venir dans ces milieux.

Je suis convaincue que nous découvrirons de nombreuses opportunités de collaboration — au-delà de celles liées directement à l’écoute et à la co-création, ainsi qu’à des partenariats académiques.

De plus, le contexte social, culturel, historique et environnemental du Québec et de Montréal rend cette expérience encore plus enrichissante !

Vous donnerez des conférences à ºÚÁϲ»´òìÈ sur des thèmes comme l’économie sociale, la co-création, la transformation des quartiers et les enjeux urbains. Quels messages souhaitez-vous transmettre aux étudiant·e·s et aux professeur·e·s?

Plutôt que de me concentrer uniquement sur les connaissances théoriques et conceptuelles, je souhaite partager des apprentissages issus d’expériences concrètes — les réussites et les défis des interventions sociales, ainsi que les enjeux à venir.

Je veux inviter les étudiant·e·s à réfléchir à leur rôle futur en tant que concepteur·rice·s sociaux, agents de changement ou facilitateurs de transformation — peu importe le terme utilisé.

Les méthodes narratives et d’écoute sont centrales dans votre travail. Comment ces approches peuvent-elles contribuer à la démocratie de quartier et à la coexistence dans des milieux urbains diversifiés?

La démocratie repose sur une gouvernance collective et collaborative. Les méthodes d’écoute permettent de créer des espaces de dialogue où des perspectives variées peuvent émerger. Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est urgent de créer des points de connexion pour favoriser la compréhension mutuelle.

L’objectif n’est pas nécessairement le consensus, mais plutôt la co-construction d’une vision commune et d’un avenir partagé.

Les milieux urbains offrent un terrain idéal pour expérimenter et développer de nouvelles formes de démocratie qui peuvent ensuite être étendues à plus grande échelle.

Vous avez travaillé en profondeur sur l’évaluation développementale et l’innovation orientée par mission. Comment évaluez-vous l’impact des interventions sociales, et quel rôle joue la théorie du changement dans votre méthodologie?

Évaluer l’impact des interventions sociales est l’un des grands enjeux de l’innovation sociale. Le changement social est avant tout un changement culturel, et cela prend du temps.

La théorie du changement nous aide à clarifier les objectifs derrière les transformations que nous souhaitons encourager. Elle donne une direction collective à nos interventions.

L’évaluation développementale vise à analyser les opportunités et les défis du changement culturel tout au long du processus, en captant les récits visibles et invisibles. La théorie du changement sert de cadre pour interpréter ce que ces récits nous révèlent.

Vous avez créé Beta, une plateforme dédiée à l’innovation sociale. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative — sa mission, ses activités et les types de projets qu’elle soutient?

Beta est mon projet personnel. C’est une initiative modeste qui collabore avec différents écosystèmes d’innovation. Sa mission est de promouvoir une vision particulière de la gouvernance collaborative et de l’innovation sociale, en facilitant les liens entre petites et grandes initiatives qui, ensemble, peuvent contribuer à un changement systémique plus large.

Beta a une dimension politique claire, fondée sur la conviction que les transformations significatives naissent de l’action collective.

Je vois Beta comme un petit catalyseur — qui connecte différentes interventions pour que leurs impacts individuels puissent se renforcer mutuellement.

Vous collaborez avec le programme en humanités numériques de l’Université Mondragon. Quel est votre rôle, et comment ce travail s’inscrit-il dans votre engagement plus large en matière de participation numérique et d’intervention sociale?

Je suis co-coordinatrice du programme en humanités numériques mondiales à l’Université Mondragon, avec Aitor Zuberogoitia, qui était au CRIEM l’an dernier. Après les quatre premières années du programme, nous avons entrepris une refonte complète pour aligner le profil des étudiant·e·s avec les besoins des professions émergentes en innovation sociale.

Il est essentiel de reconnaître l’innovation sociale comme une profession — même si construire un curriculum défini reste complexe. Sa nature transversale exige la capacité de dépasser les frontières — entre les secteurs, les intérêts et les politiques.

La plupart des innovateur·rice·s sociaux apprennent par essais et erreurs, soutenus par les réseaux qu’ils créent. Cela appelle à une plus grande interdisciplinarité dans l’enseignement, une interaction renforcée entre la recherche fondamentale et appliquée, une meilleure reddition de comptes, et une réflexion plus approfondie sur les effets sociaux des développements technologiques — leurs opportunités comme leurs défis.

Dans cette perspective, les universités ont une responsabilité croissante dans la construction de l’avenir de l’innovation sociale.

Selon vous, quelle est la responsabilité sociale des universités aujourd’hui, en particulier par rapport aux villes et aux quartiers qui les entourent? Comment les institutions académiques peuvent-elles agir comme des piliers du développement urbain inclusif?

Pour relever les transitions à venir, la collaboration est essentielle. On parle de plus en plus du modèle de la « quintuple hélice » de l’innovation, qui désigne les réseaux de savoir nécessaires à une innovation ouverte et inclusive. Ce modèle repose sur cinq principes :

1. La production de savoirs dans le contexte de leur application ;

2. La transdisciplinarité ;

3. L’hétérogénéité et la diversité organisationnelle ;

4. La responsabilité sociale et la réflexivité ;

5. Le contrôle de la qualité.

Les universités sont naturellement alignées avec ces principes. Pour favoriser un développement urbain plus inclusif, nous avons besoin de nouvelles solutions qui peuvent être expérimentées et testées. Les universités doivent contribuer à identifier, extraire, évaluer et structurer ces expérimentations.

Pour terminer, pourriez-vous recommander un essai ou un roman d’un·e auteur·e basque qui offre une perspective urbaine sur les défis actuels du Pays basque — une œuvre qui vous touche particulièrement?

L’un des grands défis auxquels nous faisons face au Pays basque est l’arrivée croissante de personnes venant d’autres pays. Dans les années 1970, il y a eu une forte migration en provenance d’autres régions de l’État espagnol, et ces dernières années, des personnes arrivent de partout dans le monde.

Nous devons développer des formes plus inclusives d’engagement communautaire et de processus d’écoute, afin de réellement apprendre à nous connaître et à nous reconnaître mutuellement.

La langue peut être un outil puissant pour créer un sentiment d’appartenance. Toutefois, la survie de la langue basque demeure un enjeu majeur pour notre société future. Il est essentiel de trouver des moyens de rendre cette langue plus accessible aux nouveaux arrivants.

Un roman qui aborde ces thèmes avec force est Little Brother d’Amets Arzallus, écrivain basque et bertsolari(le bertsolarisme est l’art de chanter des vers improvisés en basque selon des mélodies et des schémas de rimes). Ce roman raconte le parcours difficile d’un migrant originaire d’Afrique de l’Ouest vers l’Europe. Il a été écrit en basque et traduit en français et en anglais.

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Leire sera à ºÚÁϲ»´òìÈ durant la semaine du 27 octobre 2025.ÌýPour plus de détails, veuillez consulter le site web du CRIEM.

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